La justice restaurative, une autre manière de faire justice
On en entend parler, mais qu’est-ce que c’est concrètement ? Tour d’horizon d’une idée qui fait son chemin, la justice restaurative.
Novembre 2012, Palais de justice de Paris. Elle explique d’une voix calme qu’en 1988 sa fille, alors âgée de 10 ans, avait été sauvagement assassinée.
Lui est présent grâce à une permission. Il est en semi-liberté après plusieurs années de prison pour homicide.
Ce qui les réunit ? Tous deux ont participé à l’expérimentation de rencontres détenus-victimes qui a eu lieu à la centrale de Poissy en 2010. Trois victimes, trois personnes détenues ayant commis des crimes analogues à ceux subis par les proches des victimes, deux médiateurs et deux personnes représentant la société se sont rencontrés, après les procès, pendant six séances de trois heures.
Tous les deux sont là pour témoigner de l’intérêt de ces rencontres. La mère a cherché à comprendre comment on pouvait commettre de tels actes et elle explique aussi vouloir lutter contre la récidive. Lors de ces séances, elle s’est rendu compte de la dureté de la vie carcérale, de la souffrance des criminels. Sortir de sa carapace et reconnaître l’humanité de l’autre ont été des conséquences qui lui ont procuré un certain apaisement.
Quant à lui, après avoir rappelé qu’on est criminel cinq minutes mais qu’on est un être humain toute la vie, il explique combien la confrontation avec la souffrance des victimes l’a transformé et lui a permis de prendre conscience de son crime.
Ces deux témoignages sont intervenus dans le cadre de la formation continue de l’Ecole Nationale de la Magistrature. Le but était de promouvoir la justice restaurative qui vise à restaurer la victime, réinsérer l’infracteur et rétablir la paix sociale.
[c][b]CE QU’EST LA JUSTICE RESTAURATIVE[/c][/b]Le « tout répressif » n’est de loin pas la panacée. Ni la surpopulation carcérale endémique, ni l’augmentation de la durée moyenne de la peine ne modifient le volume des transgressions. De plus, à l’issue d’un procès, la victime a rarement le sentiment que ses besoins ont été pris en compte. Quant à l’infracteur, le sens de la peine lui échappe trop souvent. Bien que nécessaire, l’arsenal pénal est largement insuffisant. La justice restaurative, qu’elle soit considérée comme une alternative ou un complément à la justice pénale, refuse de réduire l’infracteur à l’acte commis, la victime aux dommages subis et la communauté à la rupture du lien social. Sans nier que le crime ou le délit constitue une violation de la loi, la justice restaurative veut les aborder principalement comme des torts faits à des personnes et à des relations.Outre les rencontres détenus-victimes, les Cercles de soutien et de responsabilité (CSR) constituent un élément important du dispositif. Dans les pays qui pratiquent la justice restaurative, un CSR peut être mis en place peu avant la sortie de prison de l’infracteur. Il se compose de quatre ou cinq personnes bénévoles (formées et encadrées par des professionnels), qui rencontrent la personne libérée, afin de l’accompagner dans ses démarches, l’aider à se réinsérer et surtout éviter qu’elle ne se sente isolée, ce qui pourrait favoriser une récidive. Nos communautés n’auraient-elles pas un rôle à jouer dans un tel accompagnement ? [c][b]LA JUSTICE RESTAURATIVE EN FRANCE[/c][/b]Elle peine à trouver sa place pour plusieurs raisons, dont les deux suivantes : d’une part, le modèle rétributif, qui estime que la souffrance est une manière de payer la dette, est prédominant.
D’autre part, dans notre société laïque, le concept de justice restaurative, venant des pays anglo-saxons, a parfois une tonalité spirituelle qui dérange.
Dans le système actuel, la recherche de la vérité s’exerce dans le cadre de la procédure pénale qui laisse peu de place à la parole des victimes. Beaucoup d’entre elles pensent ne pouvoir trouver le réconfort que dans le prononcé d’une peine exemplaire. [c][b]UN MOUVEMENT QUI DEVRAIT S’AMPLIFIER[/c][/b]Au sein de nos Eglises, le Dimanche pour la paix sur le thème « Prisons et justice de Dieu » et le séminaire avec le mennonite Howard Zehr sur la justice restaurative au Bienenberg avaient marqué l’année 2010.
A l’initiative du service Justice et Aumônerie des prisons de la Fédération Protestante de France (FPF), la traduction en français du livre d’Howard Zehr, « La justice restaurative » a été réalisée en 2012 ; ce livre a aussi été distribué à tous les aumôniers protestants de prisons, ainsi qu’aux directeurs de prisons.
En octobre dernier, le rassemblement national des aumôniers protestants des prisons à Strasbourg a porté sur la justice restaurative, avec différents intervenants, dont Neal Blough (« Sur la mort du Christ : une justice qui guérit et réconcilie ») et en présence de Claude Baty, président de la FPF.
Enfin, l’attitude favorable de Mme Taubira, Garde des sceaux, envers la justice restaurative, devrait être un élément moteur dans le développement de la justice restaurative en France. [c][b]EN 2013[/c][/b]Un colloque au Sénat sur le thème « Punir, guérir, restaurer -Regards croisés sur une autre manière de faire justice », sera organisé le 24 janvier par le Groupe de travail sur la Justice restaurative de la FPF. Il réunira Jean-René Lecerf, sénateur, Robert Cario, professeur de criminologie et spécialiste de justice restaurative, Jean-Marc Ferry, philosophe, la directrice d’une association de victimes et Howard Zehr, professeur de sociologie et de justice restaurative à Eastern Mennonite University par enregistrement depuis les USA, etc.
Dans les assemblées mennonites, en ce mois de janvier, le Dimanche de la fraternité mondiale sur le thème « La justice de Dieu restaure » donne l’occasion de réfléchir à l’image que nous avons de Dieu (un Dieu qui punit, un Dieu qui restaure…) et nous incitera peut-être à nous engager en faveur de la justice restaurative.
Pour aller plus loin…
– www.leprojetimagine.com (conversations)
– Howard Zehr, La justice restaurative – Pour sortir des impasses de la logique punitive, Labor et Fides, Genève, 2012, 97 pages