J’ai soif
Dans l’évangile de Jean, l’avant- dernière parole du Christ en croix résonne comme un appel à l’aide, l’aveu d’un besoin fondamental non satisfait. Quel profond mystère que ce Dieu crucifié réclamant à boire à ses bourreaux ! Comment le comprendre et l’interpréter ?
QUI SAURA APAISER NOTRE SOIF ?
Lorsqu’il m’arrive d’accompagner des personnes en fin de vie, je suis souvent frappé de constater que la souffrance la plus difficile à calmer est celle liée à la soif. Dans les unités de soins palliatifs, on excelle dans la prise en charge de la douleur et on arrive la plupart du temps à l’apaiser. Lorsque la déglutition n’est plus possible, on sait très bien assurer – tant que nécessaire – l’hydratation et l’alimentation par perfusion. Mais très souvent, la sensation de soif perdure. Seuls des soins de bouche fréquents et attentionnés arrivent à la calmer, toujours très partiellement.
Cette soif du mourant me semble être comme l’expression physiologique de deux autres soifs plus existentielles, que la médecine ne sait pas non plus combler : la soif d’amour et la soif d’absolu. Ces besoins s’expriment souvent de façon très intense lorsque la fin approche. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la plupart des unités de soins palliatifs cherchent à favoriser la présence des proches et des équipes d’aumônerie autour des personnes hospitalisées.
« MON ÂME A SOIF DU DIEU VIVANT, QUAND LE VERRAI-JE FACE À FACE ? » (Psaume 42)

Crédit photo : Hannah Reding
Ainsi, au moment de mourir, Jésus exprime le même appel, la même demande que chacun de nous : « J’ai soif ». Dans l’expression la plus vitale de notre faiblesse et de notre dépendance, cet appel, qui unit le mourant et le nouveau-né, nous rejoint : J’ai soif ! Et derrière ce cri résonne la même supplique fondamentale, celle qui s’exprime aussi bien à l’aube de la vie qu’à son crépuscule : Aimez-moi, aimez-moi jusqu’au bout ! Par cet appel à l’aide, Jésus révèle de façon définitive son humanité et accomplit ainsi jusqu’à son terme son incarnation. Il est pleinement homme en ce qu’il partage le désir le plus profond de toute l’humanité : être aimé.
Oui, « tout est achevé » et l’Écriture est pleinement accomplie : Jésus s’est fait tellement proche de nous qu’il est venu partager notre faiblesse la plus extrême. Et c’est ainsi qu’il peut se tenir à nos côtés lorsque notre soif ne peut plus être apaisée par nos proches ou nos soignants. Par sa présence et son amour, il est le seul à pouvoir étancher toutes nos soifs existentielles.
UNE SOURCE JAILLISSANT POUR LA VIE ÉTERNELLE
Et alors même que « tout est accompli » et que Jésus a « remis l’esprit », de son côté jaillit l’eau mêlée au sang. Cette eau, dont il semblait manquer et qu’il réclamait à ses bourreaux, est en fait présente en lui en telle abondance qu’elle déborde de son cœur transpercé ! Comment ne pas y voir une image de l’eau vive promise à la Samaritaine, cette eau grâce à laquelle nous n’aurons plus jamais soif ?
Jésus par sa Passion nous rejoint au plus profond de notre soif. Par sa mort et sa résurrection, il laisse jaillir pour nous de son côté l’eau vive qui apaise à jamais cette soif. Sachons donc nous tourner résolument vers son cœur miséricordieux pour y puiser la source de vie dont nous avons tant besoin.
« Après quoi, sachant que dès lors tout était achevé, pour que l’Écriture soit accomplie jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif ». Il y avait là une cruche remplie de vinaigre, on fixa une éponge imbibée de ce vinaigre au bout d’une branche d’hysope et on l’approcha de sa bouche. Dès qu’il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est achevé » et, inclinant la tête, il remit l’esprit.
Cependant, comme c’était le jour de la Préparation, les autorités juives, de crainte que les corps ne restent en croix durant le sabbat – ce sabbat était un jour particulièrement solennel –, demandèrent à Pilate de leur faire briser les jambes et de les faire enlever. Les soldats vinrent donc, ils brisèrent les jambes du premier, puis du second de ceux qui avaient été crucifiés avec lui. Arrivés à Jésus, ils constatèrent qu’il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes. Mais un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. »
JEAN 19.28-34